Les connaissances vont et viennent dans l’histoire du monde et
force est de constater que les oublis existent, et que notre histoire n’est pas
celle d’une accumulation et assimilation systématique des savoirs passés.
Quelques éléments sortent de ce savoir global quand d’autres y
rentrent (ou pas). Et l’oubli, l’impossibilité de savoir pour la bonne et simple
raison que les sources n’existent tout simplement plus et ne sont pas
reconstituables est, je l’admets, extrêmement frustrant. Du coup on pallie un
peu avec notre imagination : là où il n’y a pas de preuves, il peut y avoir une
solide imagination.
Force est de constater une chose : si les guanches sont arrivés
aux Canaries, cela n’a pas été par les airs, ni à la nage (le point de la côte
la plus proche est à 100 km). C’est donc le bateau qui a été utilisé et il y eut
donc un savoir-faire de navigation. Mais d’où venait-il ?
Tant que nous ne trouverons pas d’épave ou de restes
exploitables, nous ne le saurons malheureusement jamais. Si bateau il y a eu, il
devait être de bois et ce matériau résiste mal aux ravages du temps, que cela
soit dans l’air, sur terre et à fortiori dans l’eau.
D’épaves point. Des récits peut-être ?
Car il y eut bien une écriture guanche, qui d’ailleurs
trahissait leurs origines, puisqu’elle est aussi d’inspiration berbère. Mais mis
à part quelques inscriptions
sur des
rochers
, au sens très certainement religieux, rien qui ne nous permette d’éclaircir le mystère de la grande
traversée.
Les guanches, comme beaucoup de petits peuples n’ayant pas
atteint les âges métalliques, semblaient avoir une solide tradition orale et
beaucoup de choses devaient se raconter le soir au coin du feu, tous attroupé
autour de l’ancien narrant sa légende d’une voix caverneuse et chevrotante. De
génération en génération, ce qui devait avoir une base réelle a dû devenir une
légende truffée de détails imaginés, d’éléments mélangés et reconstitués et
désormais perdus pour nous qui ne pouvons plus savoir que ce que les conquérants
espagnols ont bien voulu prendre la peine de noter avant de tuer et de déporter
tout le monde.
Autre question : Comment ont-ils fait pour subodorer des îles à
une telle distance ?
Mon expérience sera limitée à ce que j’ai vu, mais toujours
est-il qu’il parait que de certains points élevés de l’Atlas, le Pico Teide sur
Tenerife (3715 m, d’altitude) est visible du continent. Un brave berbère
l’aurait-il aperçu et en aurait déduit la présence de terres émergées vers
l’Ouest ?
Ou encore, des connaissances que nous ne maîtrisons pas tout à
fait et qui sont de la même nature que celles qui ont permis aux Polynésiens de
localiser l’île de Pâques auraient permis aux populations côtières de savoir
qu’il y a des îles au milieu de ce désert d’eau ?
Là encore, hypothèses que tout cela. Et les conjectures pour
donner des raisons à un déplacement aussi audacieux vont du changement
climatique de l’époque à la pression impériale induite par l’expansion romaine.
Mais rien de définitif à ce stade.
En tout cas une fois que la porte fut ouverte, tout le monde
est entré, et il y a fort à parier que ceux des îles de l’Ouest ont pour origine
les îles de l’Est, chaque île étant visible de la précédente (tout dépend du
temps qu’il fait dans la journée).
Ainsi va une hypothèse sur le mystère de l’origine des guanches, peuple bien
brave et malheureusement disparu, aujourd’hui dissout dans le génome des
habitants des Canaries (entre 15 et 30 % ce me semble).