Raveneau se tait sur les détails de son débarquement.
Où débarqua-t-il exactement? Dans quelles conditions ? Que fit-il juste sur le moment, seul avec son petit baluchon ? On n’en sait pas beaucoup plus que ce qu’il a bien voulu en dire et seul un petit paragraphe de son Journal, pudique et douloureux, résume ses trois premières années de service dans les Grandes Antilles.
Pour se faire meilleure idée, il faut donner la parole à un collègue, qui avait abordé ces côtes vingt ans plus tôt, alors qu’il était à peine plus âgé.
Alexandre-Olivier Exmelin a une vingtaine d’années quand il précède Raveneau.
Et c’est à l’Ile de la Tortue qu’il accoste, grande base des corsaires français (la fameuse Tortuga du « Pirate des Caraïbes »), une île se situant au nord de l’actuelle Haïti : Pas de port, quelques navires aux mouillages, une poignée de cahutes, le tout dominé par un petit fortin militaire, le fort de La Roche.
Tous deux parés à servir 3 années promises à leur départ à ceux qui les ont employés et fait traverser : pour l’un il s’agit de la Compagnie des Indes Occidentales, pour l’autre rien moins que la Couronne elle-même.
La célèbre Compagnie des Indes Occidentales, détentrice du monopole commercial et d’un quasi-pouvoir étatique sur ces îles à l’époque d’Exmelin. Création de Colbert, elle ne s’embarrasse pas d’humanisme vis-à-vis de ses engagés: commerce oblige.
Pour peupler les colonies, l’on est bien contente de glaner quelques rêveurs çà et là, flânant sur les quais, d’écumer les tripots et les bordels de France et de Navarre pour en ressortir toutes celles et ceux qui ne trouve pas emploi en France. Chargeant ce cheptel bigarré sur les navires, ils serviront de main d’œuvre à la colonie.
Quand ils descendent de bateau, on laisse tout juste le temps aux engagés de découvrir le coin et de se balader. Rapidement saisis manu militari, ils sont vendus à des propriétaires terriens comme récoltants pour le travail dans les champs de tabac. C’est ce qui a dû arriver à nos deux aventuriers (même si je généralise un schéma qui doit présenter davantage de nuances au cas par cas).
Exmelin est aussi vocal sur sa douleur et ses mauvais traitements que Raveneau est silencieux sur ce sujet. Mais il y a fort à parier que tous les deux ont dû vivre une expérience similaire.
Le travail dans les champs de tabac est certes pénible, mais le pire reste les traitements infligés par les propriétaires. Les meurtres commis par ceux-ci sur leurs engagés ne sont pas rares et ces derniers les justifient par le fait qu’eux-mêmes ont subi le même sort lorsqu’ils ont débarqué pour la première fois aux îles.
L’un et l’autre se tirent de ce mauvais pas d’une manière tout aussi semblable : un appel au gouverneur, qui plus par charité que par droit, les prends sous sa protection.
Amères auront été les premières aventures pour nos deux voyageurs. Une telle désillusion en aurait certainement motivé plus d’un à retourner en métropole…mais c’est un autre genre de vie qui leur donnera envie de rester.