Télémaque Les nouvelles aventures daily 1 https://telemaque.ch Tue, 29 Mar 2022 00:00:00 +0000 Du Petit Paris à Pompéi <p align="justify">Je n'avais encore jamais été en Martinique avant cette traversée, mais j'avais déjà entendu parler, il y a bien longtemps, lors d'un cours de géologie au collège, de l'éruption de la montagne Pelée en 1902. En effet, ce volcan qui semble aujourd'hui si tranquille et si débonnaire, aux vertes pentes et en permanence couronnée de nuages comme le rocher de Gibraltar, cache en réalité une âme de tueur qui a déjà toute une ville sur la conscience.</p><p style="text-align: center;" align="justify"><br></p><div class="fancy"><img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Saint_Pierre_Montagne_Pelee.jpg"></div><p><em>La rade de Saint-Pierre au temps de sa splendeur</em></p><p><br></p> <p align="justify">De mémoire de collégien, c'est un volcan de type explosif. Sa lave est visqueuse et s'expulse donc difficilement et cette expulsion prend la forme d'une explosion brutale qui emporte avec elle une partie de la montagne et anéanti généralement ce qui se trouve à proximité. C'est exactement l'inverse de ce qu'on a vu à La Palma.</p> <p align="justify">Et ce qui devait arriver arriva le 8 mai 1902. Comme pour Pompéi, malgré tant de signes avant-coureurs (fuites des animaux, coulées de boues, tremblements de terre et autres échappements de fumées), les autorités recommandèrent le calme et ne voyaient aucune nécessité à évacuer la jolie ville de Saint-Pierre, le "Petit Paris" des Antilles, ville fondée par Pierre Belain d'Esnambuc, le premier Français sur les lieux. Le matin du même jour, une nuée ardente (un énorme nuage de gaz et de cendres dans lequel il fait un confortable 1000 degrés Celsius) dévala la pente en direction de la rade à la vitesse de 500 km/h. Autant dire qu'il ne sert plus à rien de s'enfuir lorsqu'on est sur le chemin. La ville fut intégralement soufflée. Seuls les murs les plus solides résistèrent. L'eau n'arrêtant rien, les bateaux à la rade subirent le même sort et finirent par couler après avoir pris feu.</p> <p align="justify">Environ 30 000 personnes furent tuées, mais quelques-uns survécurent et le plus connu d'entre eux est sans nul doute Louis-Auguste Cyparis, ouvrier noir arrêté pour grabuge et enfermé dans un cachot dont l'épaisseur des murs et le manque de fenêtre lui sauvèrent probablement la vie.</p><p align="justify"><br></p><div class="fancy"><br></div><p><img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Cyparis.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;"></p><p><br></p> <p align="justify">Pendant plusieurs dizaines d'années, la ville restera désertique ou presque. Son territoire communal sera annexé par une de ses voisines et ce n'est que tout doucement qu'elle est renaît de ses cendres, sans toutefois, même encore aujourd'hui, atteindre sa splendeur passée.</p><p align="justify"> <img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Martinique/Pelee_1902_3.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;"> </p><p style="text-align: justify;">Les voiliers de plaisance ont remplacé les trois-mâts de commerce. Des constructions récentes enjambent les ruines. Un musée flambant neuf retrace la catastrophe et quelques vieux éléments épars, fondations sortant d'une touffe d'herbes ou murs de pierres sans toit font penser qu'il fut des moments plus glorieux pour ce qui n'est désormais qu'un petit bourg qui fut le creuset de tant d'histoires.</p><p><br></p> Tue, 29 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/du-petit-paris-a-pompei /blog/histoires-de-mer/du-petit-paris-a-pompei Être caraïbe Rémi <p style="text-align: justify;">      Tout le monde connaît les Caraïbes comme étant un ensemble géographique, composé essentiellement des Petites Antilles (l'arc antillais, allant d'Aruba aux Îles Vierges) et des Grandes Antilles (les grandes îles, de Porto Rico à Cuba). De belles plages, beaucoup de rhum, des locaux peu vêtus et à l'accent rouleur, des fruits exotiques très sucrés, des oiseaux colorés, des serpents sournois et des mygales velues. Mais avant d'être un lieu de retraite et de villégiature pour ceux qui pense qu'il n'y a pas mieux qu'eux, c'était avant un pays de Cocagne, sillonné par des hommes peu vêtus, d'allure farouche et qui connaissaient ce coin comme personne : les Indiens caraïbes. </p> <p style="text-align: justify;">     Car c'est bien le nom d'un peuple en réalité. Appelés "les Sauvages" par les premiers colons, ceux-ci n'ont pas omis dans leurs témoignages successifs de leur rendre un hommage, souvent discret et indirect, en soulignant leur admiration pour l'incroyable équilibre que ceux-ci avaient réussi à établir avec la nature qui les entourait. </p> <p style="text-align: justify;">     Ce qui a marqué les premiers Européens qui les virent, ce fut leur simplicité. Ils n'avaient pas peur et se promenaient nus, ce qui a choqué ces braves gens pour qui tout bon chrétien se doit d'être savamment emmitouflé, indépendamment du climat, n'ayant que la tête et les mains qui dépassent. Cela émerveilla Colomb et Las Casas, mais choqua leurs successeurs, car c'est à cela qu'on reconnaît les Barbares: ils se baladent à poil. </p> <p style="text-align: justify;">     D'autres notent encore qu'ils sont très beaux et se portent très bien. Jacques Bouton, religieux français du XVIIe siècle et qui n'est pas particulièrement tendre avec eux, observe tout de même qu'il n'y a ni boiteux, ni aveugle, ni infirme chez eux, qu'ils sont remarquablement bien proportionnés et en pleine sa<img src="/content/8392839283/userfiles/histoires-de-mer/Carib_indian_family_by_John_Gabriel_Stedman.jpg" style="width: 339px; height: 600px; float: right;margin:20px 0 20px 20px">nté. La même chose est remarquée par le Père Labat, missionnaire dominicain en Martinique et en Guadeloupe de 1694 à 1706.</p> <p style="text-align: justify;">      Les Caraïbes (ou Kalinagos pour les hommes, Kaliponam pour les femmes) sont un peuple originaire du nord du Venezuela et qui s'est réparti dans le bassin caribéen à la fin du IXe siècle. La légende, colportée par les futurs colons européens, en fait des brutes sanguinaires et cannibales qui ont exterminé sans pitié un peuple doux et bon qui les a précédés sur les îles et qui s'appelait les Arawaks. Mais la recherche actuelle tend à faire penser que si remplacement il y eut, il ne fut pas brutal, mais progressif, avec une lente assimilation, que l'historiographie prouve grâce à un changement dans le style des poteries (la vaisselle parle). Les Sauvages de Bouton ou de Labat se trouvent donc innocentés d'un génocide.</p> <p style="text-align: justify;">     Une originalité : les Caraïbes se recouvrent le corps de rocou. Le rocou est une teinture végétale que l'on tire des fruits d'un arbre que l'on appelle le rocouyer. Il est d'un rouge éclatant, presque comme le carmin, disait Labat. Tous les matins, les femmes caraïbes aide les hommes à s'en recouvrir entièrement, ce qui les aident à lutter contre l'ardeur du soleil et la piqûre des moustiques.</p> <p style="text-align: justify;">     Trait original que Labat rapporte: ils parlent différentes langues, selon que l'on est un homme, une femme ou un ancien. Chaque dialecte reflète la différence de rôle, et l'anonyme de Carpentras nous en donne la teneur, qui montre à quel point au sein d'un même groupe les langages peuvent être différents : Pour dire "bonjour" les hommes disent « Maloï quaï y moussou! », et les femmes « Acquiétédé ! ». Cette différence en rappelle une autre, parallèle : chez les Caraïbes, c'est Madame qui travaille! Monsieur bulle la plupart du temps dans son hamac, cause avec ses amis ou boit du ouicou (boisson fermentée faite à partir de manioc). Il ne se met que rarement en peine de partir chasser ou pêcher. Madame par contre, cuisine, lave, prépare, élève et bien souvent porte ce que Monsieur a chassé. Les Kaliponam se sont ainsi bien souvent attiré la juste admiration des nouveaux venus d'Europe.</p> <p style="text-align: justify;">     À l'arrivée des Français en Martinique, les Caraïbes se sont repliés à l'intérieur des terres, et essentiellement sur la façade est (dite "au vent" ou "cabesterre"). Puis finalement ont complètement vidé les lieux pour aller se loger sur la Dominique, ou encore aujourd'hui subsiste une petite troupe de 3000 têtes sur le territoire de la commune de Salybia.</p> Thu, 24 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/etre-caraibe /blog/histoires-de-mer/etre-caraibe Chapitre 12 - Epilogue Rémi <p style="text-align: justify;">     Il fallut du temps pour que ces pauvres marins du Dei Gratia puissent s’innocenter d’un crime qu’il n’avait pas commis, car le procureur resta persuadé qu’il y en avait eu un et que les parties prenantes étaient toutes de mèches pour transformer le sang en or. Aussi, quand ce procès se termina enfin quelques mois plus tard, le juge Cochrane s’aligna sur Solly-Flood et la récompense de l’équipage fut-elle réduite à la portion congrue. Les expertises avaient beau jeu si ce n’était de démontrer, du moins abonder dans le sens des sauveteurs. Mais cela ne leur fut d’aucun secours et s’ils repartirent avec leur liberté et un petit pécule, ils devaient bien sentir que tout cela avait été plutôt arraché que dû.</p><p style="text-align: justify;">     Quand l’armateur du malheureux navire vint appuyer David Morehouse, il s’en fallut de peu qu’il soit lui aussi happé dans la même tourmente en fut quitte pour repartir chez lui avec le même traitement. Le navire lui-même fit peau neuve avec une nouvelle cargaison et un nouvel équipage, mais il connut bien des difficultés que lui amenaient ses fantômes. Boudé et isolé, il eut le sort des navires maudits: Longtemps à quai, passant entre des mains toujours plus douteuses (les seules qui voulurent bien encore de lui) et ne servit par la suite que d'outil de fraude et de trafic qui finit tristement une bien courte carrière d’à peine plus de dix ans, échoué volontairement sur un récif tropical, avalé par un océan qu’il n’avait pas offensé.</p><p style="text-align: justify;">     Quant à Briggs et son équipage, il n’en fut malheureusement plus question. Les recherches n’aboutirent pas, même si ça et là, au gré des anecdotes terribles dont les marins sont friands, un détail qui pourrait donner une idée de leur destin remontent de temps en temps à la surface des idées. Mais rien de certain ne put jamais être fermement établi, si ce n’est qu’ils naviguent peut-être encore ensemble vers des terres plus clémentes, où la folie humaine est encore inconnue.</p> Tue, 15 Mar 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-12-epilogue /blog/histoires-de-mer/chapitre-12-epilogue Chapitre 11 - Un juge inflexible Rémi <p>Environ un mois plus tard.</p><p style="text-align: justify;">     En cette mi-décembre, un puissant vent d’est que les gens du lieu appellent Levante formait une brume permanente au-dessus de l’imposant Rocher. Sa pente, taillée d’un brutal coup de serpe par quelque dieu semblait inviter cet éternel nuage à s’écouler au fond de sa grande baie. Mais celui-ci comme par pudeur semblait renoncer à se mouiller, et s’attardait fixement sur la longue crête, formant ainsi un toit de coton sombre au-dessus de la ville forte de Gibraltar. </p><p style="text-align: justify;">     Coincé entre ce dévers et une maigre plage désormais disparue sous les quais et les imposantes fortifications garnies de bouches à feu d’où sortaient la gueule menaçante de canons de 24 livres, la ville grouillait de son activité quotidienne, rythmée par les inévitables bruits de bottes des sentinelles marchant au pas d’un bout à l’autre des épaisses murailles. </p><p style="text-align: justify;">     Dans une des grandes salles communes qui jouxtait le palais du gouverneur, dans une de ses masures à étage unique et encore plus simplement garnies, comme un évènement solennel improvisé dans une cantine, le tribunal siégeait en session plénière, présidé par le poudreux James Cochrane, enfoncé au plus profond d’une ample robe de magistrat, dont le revers était alourdi de décorations et portant haut sur le front son imposante perruque, symbole immémorial de l’importance de sa charge. </p><p style="text-align: justify;">     Sur sa droite, un petit personnage, tout en nervosité concentrée, vitupérait brutalement contre deux figures pâles qui siégeaient à la gauche de la cour, fermement cernées par deux soldats d’infanterie, reluisants du rouge de leur uniforme. </p><p style="text-align: justify;">     -Vous mentez! accablait le petit homme, procureur en titre du Rocher. Si! Vous mentez! Rajouta-t-il un ton plus haut pour couper court à la tentative d’un des deux hommes d’interjeter une justification. </p><p style="text-align: justify;">     Frederick Solly-Flood était de ces hommes de justice de l’ancienne école : amoureux de sa fonction, convaincu jusqu’au tréfonds de son âme du bien-fondé de son existence et de ce qu’il considérait n’être rien d’autre qu’un sacerdoce, il ne voyait de bon exercice qu’à l’extrême et doublait son zèle d’une suspicion permanente pour qui tout le monde était coupable jusqu’à preuve du contraire. </p><p style="text-align: justify;">     Les deux hommes tremblants face à cette incarnation écrasante de la loi n’étaient autres que David Morehouse et Oliver Deveau, respectivement capitaines du Dei Gratia et de la Mary Celeste, arrivés depuis peu et ancrés tout deux dans la baie, face au port. </p><p style="text-align: justify;">     -Je sais que vous mentez! continua Solly-Flood en se tournant vers le président de la cour. Ces hommes n’ont rien fait d’autre que de tenter une fraude astucieuse! Pensez! Un bateau-fantôme, errant seul au beau milieu de l’océan, tout équipage disparu, ouvert à tous les vents! Mais quelle incomparable aubaine! Tellement incomparable d’ailleurs, ajouta-t-il en faisant mine de fouiller dans son dossier, qu’il n’en est littéralement nul autre exemple dans l’histoire. </p><p style="text-align: justify;">     Et se tournant brusquement vers eux : </p><p style="text-align: justify;">     -Vous n’êtes que de pauvres innocents, victimes de votre chance! Et cette merveilleuse trouvaille va vous permettre, à vous et vos affidés américains de toucher une copieuse prime d’assurance! Monsieur le président : on a la preuve que l’or flotte! De mon côté je maintiens que ce miracle n’est rien d’autre qu’une mise en scène. Je ne sais ce qu’il advint de l’équipage de la Mary Celeste, s’ils sont de mèche avec ceux du Dei Gratia, ou s’ils en ont été les victimes, mais je ne compte pas laisser des filous disparaître dans la nature avec une prime, qui de surcroît est peut-être trempée du sang d'innocentes victimes, et tout cela avec notre bénédiction. Je ne croirais pas avoir rempli ma mission si je laissais des choses pareilles se passer ici. J’insulterai Dieu, la justice et la Couronne! </p><p style="text-align: justify;">     Les deux pauvres marins se sentaient comme cloués au pilori. Peu habitués aux ors judiciaires et administratifs, il commençaient à se rendre compte que la bonne foi n’était pas gratuite et que la malchance pouvait la relayer vers un mauvais réceptacle, comme un creuset qui aurait la vertu de transformer l’or en boue. Vainement, ils avaient expliqué, déroulé, parcouru en tout sens l’intégralité des évènements qui les avaient amenés à croiser la Mary Celeste, puis finalement à se décider à l’emmener. Vainement encore s’étaient-ils justifiés, faisant valoir l’impossibilité, voire le danger qu’il y aurait eu à laisser le navire à son sort! Solly-Flood régnait en maître sur cette lourde pyramide judiciaire et chaque moellon qui la constituait s’était dévotement rangé sous la ligne hiérarchique : si lui ne vous croyait pas, alors personne ne vous croira. Quand la tête est pourrie par le vice et la bassesse d’esprit, le corps se gangrène lui aussi, mais de peur. </p><p style="text-align: justify;">     David Morehouse, qui avait revêtu son grand uniforme pour l’audience, noir de jais sur lequel reluisait les galons d’or et les boutons de laiton, répondit d’une voix d’un calme choisi ce qui avait été son refrain pendant tous les interrogatoires: </p><p style="text-align: justify;">     -Nous n’avons fait que ce que nous pensions être le meilleur. Je ne regrette pas ma décision. S’il se trouve que nous sommes à même de percevoir une prime d’assurance, grand bien nous en fasse. Mais je tiens à préciser que ce n’est pas ce qui a motivé notre geste. </p><p style="text-align: justify;">     -Tiens donc! pesta Solly-Flood, levant les yeux au ciel dans un brusque mouvement d’épaule. Et ses deux bras levés comme pour invoquer la Providence retombèrent lourdement, montrant combien cela avait été vain.</p> Tue, 15 Feb 2022 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-11-un-juge-inflexible /blog/histoires-de-mer/chapitre-11-un-juge-inflexible Chapitre 10 - Une tentative Rémi <p style="text-align: justify;">     Environ deux semaines auparavant, à bord de la <em>Mary Celeste</em>.</p><p style="text-align: justify;">     Frissonnants et grelotants de peur autant que de froid, huit personnes se serraient sur les bancs exigus de la chaloupe qui suivait d’un lent mouvement les ascensions et les descentes que la <em>Mary Celeste</em> entreprenait sur le dos de la houle. Le filin d’acier qui les retenait au navire était raide de tension et grinçait plaintivement dans le chaumard de la barque de bois. Un souffle léger ébouriffait sur ces tristes figures repliées sur elles-mêmes, les cheveux que la sueur et les embruns ne leur avaient pas encore collés au visage. Pendant de longs moments, personne n’osa profaner le silence résigné qui régnait depuis que tous avaient pris place à bord du petit esquif.</p><p style="text-align: justify;">     L’explosion, quoique n’ayant pas fait de blessés, avait fait succéder une peur sourde à un début de panique. Aucun d’entre eux n’avait cherché à comprendre ce qui la causa. Seul Richardson, encore plus pâle que de coutume, subodora que la lampe à pétrole qu’il avait laissé allumée en cas de besoin devant l’entrée de la cale, pouvait bien être le coupable le plus probable. L’air, saturé des vapeurs de l’alcool s’échappant d’un des fûts aurait atteint la saturation nécessaire et aurait pris feu au contact de la flamme proche. Telle était son hypothèse, mais il se garda bien d’en parler.</p><p style="text-align: justify;">     Toujours fût-il que plus personne ne voulut rester à bord et Dieu sait que lorsqu’il n’est pas permis à l’homme aux prises avec le drame d’espérer le salut en dehors de lui-même, la raison est parfois la première à quitter la partie. Malgré les supplications de leurs officiers, les marins poussèrent unanimement pour un abandon pur et simple.</p><p style="text-align: justify;">     “Santa Maria n’est pas loin, à la rame nous y serons en trois jours!" avait averti l’un des quatre frisons, sans se préoccuper de la véracité de ses dires. Tout cela dit sur un ton prophétique qui lui valu en un instant l’adhésion de tout le bord. Terrassés de désespoir, la parole de ce nouveau Moïse fut confondue avec la vérité. Et sans même s’interroger, ils s’engouffrèrent dans ce qui pouvait les conduire bien promptement là où il redoutait d’aller le plus.</p><p style="text-align: justify;">     Modérant l’enthousiasme que génèrent les propositions radicales, Briggs, qui se doutait de la difficulté que pouvait représenter le fait d’abattre une centaine de milles à la rame par des vents contraires, en particulier lorsque l’on est épaulé par un équipage en proie à la terreur, suggéra de rester attachés au navire pendant un certain temps et de voir si le bateau, ébranlé comme il le fût, s’enfoncerait ou au contraire, braverait les flots et auquel cas on regagnerait le bord. Le compromis rassura ce petit monde.</p><p style="text-align: justify;">     Plusieures heures déjà avaient passé et la <em>Mary Celeste</em> ne coulait pas. Au contraire, elle continuait vaillamment sa course avec le minimum de voilure qu’avait maintenu l’équipage pour ne pas lui faire perdre son élan. Et Briggs, debout à l’avant, ne la quittait pas des yeux.</p><p style="text-align: justify;">     “Ne me trahis pas!” murmura-t-il indistinctement à l’attention du navire.</p><p style="text-align: justify;">     Ce dernier devait rester innocent, car au moment où il commençait à penser qu’un retour allait être envisageable, une vague, plus haute que les autres, fit disparaître complètement la <em>Mary Celeste</em> de leur vue. Le filin plongea et, sous l’action d’un puissant coup de traction, céda brutalement en faisant vibrer toute la chaloupe. Renversé en arrière par le choc et tomba sur ses compagnons d’infortune. Il se releva d’un bond pour constater ce qu’il craignait le plus au monde : blême, il vit le navire filer droit jusqu’à devenir tout petit jusqu’à ce qu’il passe sous l’horizon.</p><p style="text-align: justify;">     Sans même regarder ses compagnons, sa femme et sa fille, il enfonça sa tête dans ses mains et dans un cri guttural, hurla la colère qu’il y a encore quelques instants il s’était promis de ne pas montrer.</p><p style="text-align: justify;"><br></p><p><br></p><p><br></p> Thu, 23 Dec 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-10-une-tentative /blog/histoires-de-mer/chapitre-10-une-tentative Episode 2 : Qui sont les guanches? Rémi <p style="text-align: justify;"><font> <p align="justify">     Les connaissances vont et viennent dans l’histoire du monde et force est de constater que les oublis existent, et que notre histoire n’est pas celle d’une accumulation et assimilation systématique des savoirs passés.</p> <p align="justify">     Quelques éléments sortent de ce savoir global quand d’autres y rentrent (ou pas). Et l’oubli, l’impossibilité de savoir pour la bonne et simple raison que les sources n’existent tout simplement plus et ne sont pas reconstituables est, je l’admets, extrêmement frustrant. Du coup on pallie un peu avec notre imagination : là où il n’y a pas de preuves, il peut y avoir une solide imagination. </p> <p align="justify">      Force est de constater une chose : si les guanches sont arrivés aux Canaries, cela n’a pas été par les airs, ni à la nage (le point de la côte la plus proche est à 100 km). C’est donc le bateau qui a été utilisé et il y eut donc un savoir-faire de navigation. Mais d’où venait-il ?</p> <p align="justify">     Tant que nous ne trouverons pas d’épave ou de restes exploitables, nous ne le saurons malheureusement jamais. Si bateau il y a eu, il devait être de bois et ce matériau résiste mal aux ravages du temps, que cela soit dans l’air, sur terre et à fortiori dans l’eau.</p> <p align="justify">     D’épaves point. Des récits peut-être ?</p> <p align="justify">     Car il y eut bien une écriture guanche, qui d’ailleurs trahissait leurs origines, puisqu’elle est aussi d’inspiration berbère. Mais mis à part quelques inscriptions sur des rochers , au sens très certainement religieux, rien qui ne nous permette d’éclaircir le mystère de la grande traversée.</p> <p align="justify">     Les guanches, comme beaucoup de petits peuples n’ayant pas atteint les âges métalliques, semblaient avoir une solide tradition orale et beaucoup de choses devaient se raconter le soir au coin du feu, tous attroupé autour de l’ancien narrant sa légende d’une voix caverneuse et chevrotante. De génération en génération, ce qui devait avoir une base réelle a dû devenir une légende truffée de détails imaginés, d’éléments mélangés et reconstitués et désormais perdus pour nous qui ne pouvons plus savoir que ce que les conquérants espagnols ont bien voulu prendre la peine de noter avant de tuer et de déporter tout le monde.</p> <p align="justify">     Autre question : Comment ont-ils fait pour subodorer des îles à une telle distance ?</p> <p align="justify">     Mon expérience sera limitée à ce que j’ai vu, mais toujours est-il qu’il parait que de certains points élevés de l’Atlas, le Pico Teide sur Tenerife (3715 m, d’altitude) est visible du continent. Un brave berbère l’aurait-il aperçu et en aurait déduit la présence de terres émergées vers l’Ouest ? </p> <p align="justify">     Ou encore, des connaissances que nous ne maîtrisons pas tout à fait et qui sont de la même nature que celles qui ont permis aux Polynésiens de localiser l’île de Pâques auraient permis aux populations côtières de savoir qu’il y a des îles au milieu de ce désert d’eau ? </p> <p align="justify">     Là encore, hypothèses que tout cela. Et les conjectures pour donner des raisons à un déplacement aussi audacieux vont du changement climatique de l’époque à la pression impériale induite par l’expansion romaine. Mais rien de définitif à ce stade.</p> <p align="justify">     En tout cas une fois que la porte fut ouverte, tout le monde est entré, et il y a fort à parier que ceux des îles de l’Ouest ont pour origine les îles de l’Est, chaque île étant visible de la précédente (tout dépend du temps qu’il fait dans la journée).</p> <p style="text-align: justify;">    Ainsi va une hypothèse sur le mystère de l’origine des guanches, peuple bien brave et malheureusement disparu, aujourd’hui dissout dans le génome des habitants des Canaries (entre 15 et 30 % ce me semble).</p></font></p> Fri, 03 Dec 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/episode-2-qui-sont-les-guanches /blog/histoires-de-mer/episode-2-qui-sont-les-guanches Les Canaries - Le Film Alain <p>Vous me connaissez, ma plume n'étant pas aussi affûtée que celle de Rémi, je préfère partager avec vous via des images.</p> <p>C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui de revenir sur nos 6 mois passés aux Canaries en images et en musique. Ce petit film est un patchwork de ce que nous avons pu voir sur toutes les îles. Les séquences peuvent être très différentes, mais représentent bien hétérogénéité des nombreux paysages de cet archipel :</p> <p> <jodit data-jodit-temp="1" draggable="true" data-jodit_iframe_wrapper="1" style="display: block; width: 100%;" contenteditable="false"><iframe style="width:100%; height:400px" sandbox="allow-same-origin allow-scripts allow-popups" title="Les Canaries - Le film" src="https://tube.tchncs.de/videos/embed/56411015-2c6d-4770-813f-469706e3e211?warningTitle=0&peertubeLink=0" allowfullscreen="" frameborder="0"><br></iframe></jodit> </p> <p><br></p> <p><br></p> Fri, 26 Nov 2021 00:00:00 +0000 /blog/voyage/les-canaries-le-film /blog/voyage/les-canaries-le-film Episode 1: Qui sont les guanches? Rémi <p style="text-align: justify;">     Petit retour sur l'histoire des Canaries, même si nous n'y sommes plus ( en deux épisodes).     </p><p style="text-align: justify;">     On avait initialement prévu de faire une belle vidéo Youtube, qui aurait servi de galop d’essai sur ce type de sujet qui me passionne. In fine, le ralentissement de rythme que l’on a recherché dans les îles a été plus considérable que prévu et ni moi, ni Alain n’avons trouvé la motivation nécessaire, rongés que nous fûmes par la flemme tropicale. </p><p style="text-align: justify;">     Par conséquent, pour me rattraper, je me dois quand même de remplacer notre premier chef d’oeuvre multimédia par un petit écrit. Je me doute que c’est moins visuel qu’une jolie vidéo, mais le fait qu’on ait loupé le train cette fois-ci ne garantit pas qu’on le loupera pour le restant de l’aventure.</p><p style="text-align: justify;">     Commençons. </p><p style="text-align: justify;">      Les Canaries sont les seules îles de l’Atlantique Nord à avoir été découvertes par les navigateurs de l’époque moderne et à avoir été déjà habitées. Par opposition aux Açores, Madère ou le Cap-Vert, qui elles étaient désertes lorsque les premiers européens y débarquèrent aux XVe et XVIe siècles.</p><p style="text-align: justify;">     Chaque île des Canaries avait sa propre population indigène, dotée d’une organisation sociale et d’une culture propre. Et ces indigènes portaient le nom générique de “Guanches” (prononcez: gouanches). Et on retrouve leur trace en remontant assez loin dans l’Antiquité.</p><p style="text-align: justify;">     Il faut voir qu’à l’époque, les Canaries avaient la réputation d’une semi-légende: Successivement lieux des Enfers chez Homère, séjour des morts, Champs-Elysées, îles dites, soit “Fortunées” ou des “Bienheureux” pour les Romains, leurs noms successifs contient en lui-même toute la part de mystère qu’on leur prêtaient, et pour cause: on les connaissait bien mal. Pline l’Ancien, savant romain du Ier siècle ap. JC, sans y être jamais allé, résume quelques écrits précédents et en parle brièvement dans sa compilation sur l’histoire du monde: Un chapelet d’îles, certaines pelées d’autres non, habitées par des femmes velues et des hommes courant très vite.</p><p style="text-align: justify;">     1300 ans plus tard, les conquistadors ibériques lui donneront partiellement raison: les habitants ont souvent l’habitude de se couvrir de peaux de chèvres (ce qui peut les faire paraître velus), et d’utiliser un long bâton pour se propulser à travers le terrain rocailleux, ce qui leur donne un indéniable avantage de vitesse pour le déplacement.</p><p style="text-align: justify;">     Mais revenons aux guanches. Si Pline en parle, c’est qu’à l’époque romaine, il y avait déjà du monde aux Canaries. Alors d’où venaient ces braves gens?</p><p style="text-align: justify;">     Vaste question, qui aujourd’hui encore n’a pas trouvé de réponses définitives. S’ensuit une série d’hypothèses, dont la plus probable est la suivante:</p><p style="text-align: justify;">     Les guanches sont des membres d’anciens groupes berbères vivant initialement dans l’Atlas occidental. A un moment donné (très probablement au 1er millénaire avant JC), ils ont traversé le bras de mer qui sépare l’Afrique des îles, et à partir de là ont essaimé sur les autres. Pourquoi un tel déplacement? Fut-il volontaire ou forcé? Se fit-il en une fois ou en plusieurs? Y eut-il une époque où les allées et venues entre les îles et le continent étaient régulières?</p><p style="text-align: justify;">     Malheureusement l’archéologie ne semble pas encore prête à répondre à ces questions. Car aucun écrit historique guanche ne nous est parvenu, et aucun reste ne nous prouve que ceux-ci maîtrisaient la navigation océanique. Bien au contraire même! </p><p style="text-align: justify;">     Lorsqu’au XVe et XVIe siècle arrivèrent les premiers Européens, ceux-ci furent surpris de l’apparente pauvreté de ce peuple marin en termes de navigation: peu d’embarcations, aucune en tout cas capable de tenir la haute mer et très peu de communication entre les îles. Certains mentionnent même que les guanches pensaient à un moment être les seuls sur Terre.</p><p style="text-align: justify;">     Une autre hypothèse est venue nous chatouiller l’esprit lors d’une visite au musée de Fuerteventura. Fort récemment, sur la petite île de Los Lobos, devant Fuerteventura, ont été retrouvés de larges amoncellements de coquilles d’un petit gastéropode marin, le murex. Les analyses ont montré qu’à cet endroit, à l’époque romaine, ces petits animaux ont été exploités pour l’extraction du colorant pourpre dont les italiques étaient de francs consommateurs (à noter: je ne sais pas par quel processus on extrait un colorant d’un escargot, mais cela doit se passer sans l’accord de intéressé).</p><p style="text-align: justify;">     Mention est faite que cette exploitation était confiée à des exilés ou des prisonniers, relégués dans ces îles pour les éloigner. Ils y auraient essaimé et seraient à l’origine des guanches.</p><p style="text-align: justify;">     Mais il y a un hic à cette histoire.</p><p style="text-align: justify;">     Nous connaissons à l’heure actuelle le patrimoine génétique des guanches: il est nord-africain. Si nos guanches avaient été des descendants de prisonniers romains, il y aurait eu des chances pour que ce patrimoine fût plus bigarré.</p><p style="text-align: justify;">     De plus, si les Romains sont venus régulièrement à Fuerteventura à une certaine époque, ils n’y sont visiblement pas restés, car aucune trace de colonie ou d’établissement pérenne n’a été retrouvée. Et les écrits laissés par eux montrent tout au plus une connaissance assez sommaire de cette partie de l’Atlantique.</p><p style="text-align: justify;">     Exit Rome. Retour aux Berbères. Alors, pourquoi être venus s’installer là?</p><p><br></p><p><br></p> Sat, 20 Nov 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/episode-1-qui-sont-les-guanches /blog/histoires-de-mer/episode-1-qui-sont-les-guanches Chapitre 9 - Abandonné Rémi <p>Avec l’équipe d’Oliver Deveau, à bord de la <em>Mary Celeste</em>.</p><p style="text-align: justify;">          Descendant quelques marches, il déboucha dans un petit corridor sombre qui allait des cales de marchandises à la cabine principale. Après un bref regard de droite et de gauche, il fila vers cette dernière, sans porter attention au plancher rendu glissant et brillant d’une humidité qui avait longtemps imprégné le bois, au point de l’avoir rendu presque spongieux.</p><p style="text-align: justify;">          La porte de la cabine de Briggs était grande ouverte et battait au gré du roulis. On y distinguait peu dans la pénombre, mais quelques secondes permirent à Deveau de s’habituer lentement et de constater un indescriptible désordre. Les meubles, renversés pour la plupart, semblaient avoir été soufflés par quelque invisible force qui n’avait laissé nulle trace derrière soi. Les tiroirs pendaient, béants, vides pour certains, ou ayant éparpillé leur contenu à travers la pièce. Papiers et vêtements épars renvoyaient une faible luminosité jaunâtre, comme si tout ce fouillis avait subi un vieillissement accéléré. Seul le secrétaire, fermement cloué au sol, était intact, et Deveau eut la vague impression que la chandelle de suif, écrasé dans le bougeoir comme un vieux havane mouché de frais, fumait encore. Contrastant avec les environs, le meuble était rangé, les plumes à leur place avec même encore un petit peu d’encre dans l’encrier. Grand ouvert, le livre de bord trônait dessus. Il s’y précipita dans l’espoir d’y lire rapidement la clé du mystère.</p><p style="text-align: justify;">         Sur la dernière ligne, d’une main posée, seule la position avait été notée. Aucun autre commentaire. Remontant quelques lignes, puis quelques pages, rien ne put trahir ce qu’il avait bien pu advenir tout ces braves gens. Mais en fouillant davantage, il s’aperçut qu’il ne trouvait nulle part les traditionnels documents d’enregistrements commerciaux, qui pourtant ne bougent jamais de la cabine du capitaine. De même, le sextant n’était plus dans sa boite, ni le compas de relèvement. Celles-ci étaient vides et renversées au pied de la table.</p><p style="text-align: justify;">          -Emportés? pensa-t-il. Mais où?</p><p style="text-align: justify;">          Il porta un regard scrutateur tout autour de lui, recherchant davantage d’éléments qui pourraient le mettre sur la piste, ou du moins échafauder un avis que Morehouse ne manquerait pas de lui demander à son retour.</p><p style="text-align: justify;">           En reculant, il sentit sous son pied un objet long qui émit un léger craquement. Il se pencha pour le ramasser et entrevit dans la lumière du hublot que c’était le sabre de Briggs, encore dans son fourreau.</p><p style="text-align: justify;">          Rien d’autre ne retint son attention, si ce n’est le piano, lui aussi cloué au sol de la cabine. Meuble inhabituel pour un officier de la marine marchande, il devait faire partie des quelques effets que Mme Briggs avait dû vouloir ramener d’Amérique avec elle et était resté aussi immobile que le secrétaire, îlots d’ordre dans ce capharnaüm. S’appuyant sur une des parois, il la sentit étrangement moite et poisseuse. Il se rendit alors compte à quel point l’humidité avait nimbé l’atmosphère et s'était insinuée partout, au point que sa main en colle presque au mur. </p><p style="text-align: justify;">           Au-dehors, les quelques objets épars continuaient leur lent menuet rythmé par le mouvement marin. Le vent avait un peu faibli et la <em>Mary Celeste</em> avait retrouvé un semblant de calme, comme fatiguée après une longue excitation.</p><p style="text-align: justify;">           Au bout d’une bonne demi-heure d’inspection, les quatre hommes se retrouvèrent sur le pont pour s’échanger leurs impressions sur ce qui était dorénavant un bateau-fantôme, un derelict comme disent les marins anglais, objet d’abandon cachant derrière lui un mystère définitivement clôt et dont la clé, comme jetée par-dessus bord, semble avoir été à tout jamais avalée par les flots. Suants, tremblants même pour certains -et de froid plus que de peur, pensaient-ils bon de préciser aux autres afin de ne pas laisser entrevoir un esprit qui vacille-, ils avaient fureté dans le moindre recoin, la moindre niche, jusqu’au fond des cales que l’un d’entre eux avait trouvées remplies d’un bon mètre d’eau.</p><p style="text-align: justify;">           -De l’eau de mer, précisa-t-il pour montrer que son enquête avait été poussée jusqu’à ce point.</p><p style="text-align: justify;">           -Le bateau coule? s’enquit Deveau.</p><p style="text-align: justify;">          Son matelot lui rétorqua que cela lui semblait peu probable. Si la coque était trouée, le navire aurait coulé depuis longtemps. La cargaison d’alcool industriel avait été trouvée intacte. Seuls quelques fûts s’étaient détachés et avaient été trouvés surnageant dans la mare, bringuebalant avec quelques ballots épars. Pas âme qui vive à bord. Tout le monde avait disparu sans même laisser le plus petit indice derrière lui. Seuls l’absence du canot et le filin accroché à l’arrière du navire et qui se révéla rompu, comme arraché par une grande force, indiquaient le possible destin des occupants de la Mary Celeste. </p><p style="text-align: justify;">           Leurs rapports finis, Deveau donna quelques ordres pour que la barre soit redressée et les voiles réajustées. Morehouse lui avait fait part de son intention de ramener le bateau avec lui à Gibraltar si le navire se trouvait être désert. Le commandement lui en serait laissé. Un de ses hommes le saisi pourtant à la manche avant d’aller à son poste, et l’anxiété qu’il avait réussi à épargner à sa voix se voyait néanmoins dans son regard, il glissa à l’intention du second:</p><p style="text-align: justify;">           - On ne sait pas ce qui s’est passé dans le fond? </p><p style="text-align: justify;">           Deveau tenta lui aussi de conserver sa contenance, et ne trouva rien de mieux que de répondre d’un non bref et ferme qui coupait court à toute élaboration, tout perdant son regard dans l’horizon.</p><p style="text-align: justify;"><br></p> Thu, 18 Nov 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-9-abandonne /blog/histoires-de-mer/chapitre-9-abandonne Chapitre 8 - Mer intérieure Rémi <p style="text-align: justify;">Environ deux semaines auparavant, à bord de la <em>Mary Celeste</em>. </p><p style="text-align: justify;">          À fond de cale depuis près d’une demi-heure, tâtonnant dans l’obscurité à l’aide d’une canne graduée, Benjamin Briggs se démenait comme un beau diable pour identifier l’origine de la fuite. En bras de chemise, il se pliait dans tous les sens, dans chaque recoin, entre chaque cuve, triturant nerveusement le moindre détail qu’il arrivait à saisir, agripper, palper afin de situer l’origine de cet étrange sinistre que personne ne semblait avoir remarqué jusqu’alors. Tout tournait dans sa tête, submergé de détails qu’il eut pu ignorer et qui pourraient se révéler cruciaux dans une enquête qui commençait bien ressembler à une lutte contre le temps. </p><p style="text-align: justify;">          Mais aucune aspérité, aucun courant léger et froid qui aurait pû indiquer une provenance extérieure ne trahissait ce qui remplissait ce lac couleur de naphte. De surcroît, l’odeur environnante était insoutenable, et l’atmosphère étouffante faisait perler de grosses gouttes de sueur sur son front qui glissaient lentement dans le liquide huileux. </p><p style="text-align: justify;">           L’équipage avait rapidement été mis au fait par les bruyantes plaintes et le début de panique du matelot frison. Quant à lui, l’impression que le temps pressait et que la moindre seconde perdue pouvait bien être aussi fatale au bâtiment qu’à ses occupants, se faisait pesante sur des épaules qui avaient jusqu’ici endossé la juste confiance de tant de compagnons de mer. </p><p style="text-align: justify;">         L’espace d’un instant, entre deux plongées dans l’eau noire, lui repassèrent dans l’esprit toutes les infortunes qu’un vétéran des mers comme lui avait bien pu connaître. De l’atmosphère suffocante des tropiques, où le marin étouffe dans une coque de métal glissant dans une eau vaporeuse aux reflets clairs et profonds, jusqu’aux lames grises, hautes et glacées des océans septentrionaux, il avait vu connu et vécu jusqu’aux tréfonds de sa chair amarinée de longue date ces petits riens qui n’effrayeraient pas un homme des terres, mais qui n’en demeurent pas moins la terreur de ceux de mers. </p><p style="text-align: justify;">          Autour de l’écoutille avant, toutes les têtes s’étaient agglutinées et formaient comme une couronne d’angoisse auréolée par la pâleur du jour. Sarah Briggs, miraculeusement réapparue d’un de ces mystérieux recoins où elle allait moucher ses caprices passagers, tenait sa fille dans ses bras et la berçait avec un calme qui étonna jusqu’à Richardson et suscita l’admiration des autres matelots. La seule femme du bord savait s’ériger en contraste avec ceux qui l’entouraient, ce qui en temps normal lui avait valu la défiance du personnel des autres navires sur lesquels son mari avait commandé. La <em>Mary Celeste</em> n’avait pas fait exception. À cela près que cette fois-ci, le contraste n’était pas calculé. Se souciant davantage de sa fille que du drame, aussi imminent et accablant qu’il puisse être, et quand bien même il emporterait tout le monde, Mme Briggs était restée de marbre quand un des quatre allemands de l’équipage, le pas saccadé et suant de panique, avait finit par la trouver pour lui annoncer la situation. Et alors que tous s’affairaient, couraient, se préoccupaient bruyamment en variations anglo-saxonnes accentuées, elle arpentait le pont d’un pas lent et tranquille sans poser de questions et tâchant d’éviter les trajectoires désordonnées et brutales des uns et des autres avec une souplesse presque gracieuse. </p><p style="text-align: justify;">          De l’écoutille sortit enfin une tête barbouillée de graisse noire, dont les pupilles d’une blancheur d’ivoire avaient été vidées de leur sang, les lèvres violettes de froid et les cheveux en bataille laissèrent présager une évidence qui s’imposa à tous. Les plus forts caractères réussirent à écraser le début de désespoir qui se faisait jour au tréfonds de leur âme, mais quelques-uns étouffèrent une plainte amère pendant que Richardson aidait le capitaine, dégoulinant et suintant, à se hisser sur le pont.</p><p style="text-align: justify;">          -La cause est indéfinissable, finit-il par dire. J’ai sondé tout ce que j’ai pu sans rien trouver. De plus, je crois que quelques-unes des barriques se sont ouvertes. Comment? Je ne le sais. Mais l’odeur est insoutenable. Je crois qu’il nous faudra… </p><p style="text-align: justify;">          Il n’avait pas fini sa phrase, quand un souffle brutal, mêlé d’un bruit de tonnerre aussi violent qu’un coup de canon ébranla toute la structure de la<em> Mary Celeste</em>, qui se cabra un instant dans l’immensité liquide. Les mâts craquèrent douloureusement dans leur emplanture, comme vrillés par une force invisible. Le pont se souleva sur une dizaine de centimètres, renversant quelques marins surpris qui n’avaient pas réussi à se rattraper à temps. De l’écoutille d’où le capitaine venait d’émerger sortit une longue langue de feu d’un orange intense qui s’éleva haut dans le ciel.</p> Wed, 17 Nov 2021 00:00:00 +0000 /blog/histoires-de-mer/chapitre-8-mer-interieure /blog/histoires-de-mer/chapitre-8-mer-interieure